Des chercheurs français de l’Inserm et du CNRS viennent de découvrir que nous possédons un mécanisme de protection contre les allergies plutôt surprenant : des anticorps très puissants s’autodétruisent après avoir joué leur rôle immunitaire. Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue Cell reports.
Les anticorps nous protègent, mais parfois se retournent contre nous
Pour aboutir à cette découverte, l’équipe s’est intéressée aux lymphocytes B, une variété de globules blancs. Lorsqu’un corps étranger (telle une bactérie ou un virus) pénètre dans l’organisme, ces cellules sécrètent les “armes” les plus puissantes du système immunitaire : les anticorps, aussi appelés “immunoglobulines”. Ils sont divisés en 5 catégories, selon leur structure : IgG, IgM, IgA, IgD et IgE. Or si ces “armes” nous protègent, elles se retournent parfois contre nous. C’est le cas pour les plus efficaces des anticorps, les IgE, dont même des traces infimes (ils sont 100.000 fois moins abondants que les autres anticorps) peuvent déclencher des réactions allergiques très violentes (asthme, urticaire, choc allergique) dès que leur taux augmente légèrement.
L’équipe de l’Inserm et du CNRS s’est plus particulièrement intéressée aux IgE, les moins étudiés, et a réalisé une expérience afin de comprendre leur mécanisme de contrôle. Ils ont contraint, par génie génétique, des lymphocytes à produire ces anticorps en grand nombre. Ils ont alors réussi à mettre en évidence deux mécanismes majeurs de contrôle. Dès qu’un lymphocyte B porte sur sa membrane une IgE, il se “fige” : il s’arrondit, perd ses pseudopodes (déformations de la membrane qui permettent à une cellule de se nourrir et de se déplacer en “rampant”) et devient incapable de se déplacer, alors que les lymphocytes sont habituellement très mobiles (voir illustration ci-dessous).
Lymphocytes B visualisés en microscopie confocale (x 1000). Les lymphocytes B avec une IgM à leur surface ont des protubérances (pseudopodes), témoignant de leur mobilité alors que les lymphocytes B avec une IgE perdent ces structures et deviennent immobiles. (© CNRS Contrôle de la réponse immune B et lymphoproliférations)
Vers une compréhension des lymphomes ?
Les scientifiques ont également découvert que le lymphocyte porteur d’IgE active plusieurs mécanismes d’apoptose, la mort programmée de la cellule. En effet, comme cette cellule ne peut plus se déplacer, elle ne peut survivre que durant un temps bref, suffisant pour jouer un rôle protecteur ponctuel contre certains corps étrangers (les parasites, les toxines et les venins.) Elle s’autodétruit ensuite par un mécanisme appelé “endocytose spontanée”, visant à faire rentrer très rapidement les anticorps dans la cellule (voir illustration ci-dessous). Un mécanisme de mort qui rappelle, pour les chercheurs, le “hara-kiri”, suicide rituel japonais consistant à s’ouvrir l’abdomen avec un sabre. Cette mort limite ainsi très fortement la production des IgE et donc le déclenchement d’allergies. Les lymphocytes porteurs d’IgE sont ainsi rapidement éliminés, tandis que les autres cellules du système immunitaire sont capables de survivre jusqu’à plusieurs années.
Internalisation des IgE (en bleu à droite) contribuant à la mort de cellules (microscopie confocale x 1000). On remarque sur l’image à droite que l’ensemble des IgE se trouvent dans le lymphocyte et non en-dehors. (© CNRS Contrôle de la réponse immune B et lymphoproliférations)
Ces résultats élucident ainsi la manière dont notre organisme restreint la production d’IgE pour éviter une réaction allergique. “Notre organisme a donc développé, au cours de l’évolution, plusieurs systèmes d’autocensure autour d’une de ses “armes” immunitaires les plus puissantes, l’IgE”, écrivent les chercheurs. Ces derniers souhaitent désormais explorer les différentes voies moléculaires reliées à cette “autocensure”. Elles sont en effet “autant de nouvelles cibles thérapeutiques dont l’activation pharmacologique pourrait contrer les allergies, voire permettre de censurer d’autres lymphocytes B pathologiques, comme ceux impliqués dans les lymphomes (ndlr : cancers qui affectent les lymphocytes)“, concluent-ils.
Sciences et Avenir