un article publi\u00e9 en 2006 par Paul Crutzen<\/a>, qui pr\u00e9sente la g\u00e9o-ing\u00e9nierie comme une solution au probl\u00e8me de la paralysie politique internationale. Selon le laur\u00e9at du prix Nobel de Chimie, les \u00e9checs r\u00e9p\u00e9t\u00e9s des sommets sur le climat justifient la prise en compte d’un nouveau type de r\u00e9ponse au changement climatique. Mon projet doctoral porte sur les probl\u00e8mes philosophiques soulev\u00e9s par le changement climatique et sur certaines mani\u00e8res d’y r\u00e9pondre. Je voudrais montrer ici en quoi la g\u00e9o-ing\u00e9nierie ne repr\u00e9sente pas une de ces r\u00e9ponses en formulant une s\u00e9rie de critiques visant \u00e0 mettre en garde contre son d\u00e9ploiement.<\/p>\nQu’est-ce que la g\u00e9o-ing\u00e9nierie?<\/h2>\n
La g\u00e9o-ing\u00e9nierie est un n\u00e9ologisme qui recouvre un ensemble de dispositifs technologiques visant \u00e0 r\u00e9duire le r\u00e9chauffement global de la plan\u00e8te et \u00e0 att\u00e9nuer ses effets par une intervention d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e et \u00e0 grande \u00e9chelle sur le syst\u00e8me climatique. Le syst\u00e8me climatique est compos\u00e9 de trois puits\u00a0qui s’\u00e9changent en permanence du dioxyde de carbone (CO2): l’atmosph\u00e8re, la biosph\u00e8re et les oc\u00e9ans. Les technologies de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie sont class\u00e9es selon deux vis\u00e9es principales: soit on r\u00e9duit artificiellement la concentration de CO2 de l’atmosph\u00e8re en amplifiant les autres puits de carbone; soit on r\u00e9duit le rayonnement solaire. Un projet qui entre dans le premier type de g\u00e9o-ing\u00e9nierie correspond \u00e0 la fertilisation des oc\u00e9ans par un \u00e9pandage \u00e0 large \u00e9chelle de sulfate de fer. L’objectif de ce projet est d’accro\u00eetre significativement le phytoplancton marin, ce qui devrait augmenter la capacit\u00e9 des oc\u00e9ans \u00e0 absorber le CO2. Crutzen d\u00e9fend pour sa part un projet qui entre dans la seconde cat\u00e9gorie. En s’inspirant des effets des \u00e9ruptions volcaniques sur le rayonnement solaire, il propose de projeter plusieurs millions de tonnes d’hydrog\u00e8ne sulfur\u00e9 (H2S) dans la stratosph\u00e8re: la r\u00e9action avec l’air produirait du dioxyde de soufre (SO2), formant ainsi un \u00e9cran qui diminuerait sensiblement la temp\u00e9rature au sol.<\/p>\n
Les cons\u00e9quences potentiellement n\u00e9fastes de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie<\/h2>\n
Une premi\u00e8re r\u00e9serve porte sur les effets secondaires des programmes d’ing\u00e9nierie du climat. Des id\u00e9es qui semblent simples deviennent des interventions complexes, dont nous ne ma\u00eetrisons que tr\u00e8s peu, voire pas du tout, les ramifications. Par exemple, la pulv\u00e9risation de particules de H2S dans la stratosph\u00e8re pourrait avoir comme effet la r\u00e9duction des pr\u00e9cipitations dans certaines parties de l’Amazonie et de l’Afrique. Elle pourrait \u00e9galement gravement perturber la mousson indienne. Dans les deux cas, les impacts sur la production agricole seraient catastrophiques. De plus, les compos\u00e9s soufr\u00e9s pulv\u00e9ris\u00e9s dans l’atmosph\u00e8re pourraient retarder la restauration du trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique de plusieurs d\u00e9cennies. Une manipulation \u00e0 large \u00e9chelle du syst\u00e8me climatique donnera tr\u00e8s probablement lieu \u00e0 une s\u00e9rie de cons\u00e9quences inattendues. Alors que les progr\u00e8s accomplis par les sciences du climat ces derni\u00e8res ann\u00e9es devraient nous inciter \u00e0 davantage d’humilit\u00e9, les d\u00e9fenseurs de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie tirent une conclusion \u00e0 l’exact oppos\u00e9.<\/p>\n
Des cons\u00e9quences politiques aussi<\/h2>\n
Une seconde critique concerne les difficult\u00e9s politiques li\u00e9es \u00e0 la mise en \u0153uvre de ces vastes dispositifs technologiques. Les pays les plus pauvres, en raison de leur localisation g\u00e9ographique et de leurs faibles capacit\u00e9s d’adaptation, seront plus vuln\u00e9rables aux effets potentiellement n\u00e9fastes de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie\u00a0et moins consult\u00e9s sur les technologies \u00e0 d\u00e9velopper et les mani\u00e8res de les d\u00e9ployer. Loin d’\u00eatre une solution d’urgence permettant d’att\u00e9nuer les effets dangereux du r\u00e9chauffement global, la g\u00e9o-ing\u00e9nierie pourrait tr\u00e8s bien multiplier les impacts nuisibles de la perturbation anthropique (c’est-\u00e0-dire caus\u00e9e par l’homme) du syst\u00e8me climatique sur les populations vuln\u00e9rables, exacerbant ainsi les injustices climatiques mondiales.<\/p>\n
Une autre difficult\u00e9 politique porte sur les diff\u00e9rents sc\u00e9narios possibles de d\u00e9ploiement de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie\u00a0: la g\u00e9o-ing\u00e9nierie voyou, d\u00e9ploy\u00e9e par un \u00c9tat solitaire sans consulter les autres \u00c9tats, ou par plusieurs pays qui d\u00e9cident de d\u00e9ployer simultan\u00e9ment des mesures susceptibles d’interagir de fa\u00e7on d\u00e9sastreuse\u00a0; la g\u00e9o-ing\u00e9nierie pr\u00e9datrice, mise en \u0153uvre par un ou plusieurs pays en vue de d\u00e9savantager ses rivaux g\u00e9opolitiques\u00a0; ou encore la g\u00e9o-ing\u00e9nierie militaris\u00e9e, qui viserait une militarisation du syst\u00e8me du contr\u00f4le du climat avec l’objectif d’affaiblir ses ennemis.<\/p>\n
Une derni\u00e8re difficult\u00e9 politique porte sur la dur\u00e9e du d\u00e9ploiement des programmes de g\u00e9o-ing\u00e9nierie. Pour injecter une dose suffisante d’H2S dans la stratosph\u00e8re, ou pour fertiliser le phytoplancton marin consommateur de CO2 \u00e0 large \u00e9chelle, beaucoup d’acteurs doivent participer sur le long terme. Si certains ne tiennent pas leurs engagements, le dispositif pourrait devenir inefficace et le r\u00e9chauffement global pourrait devenir abrupt. Interrompre un programme d’ing\u00e9nierie du climat de mani\u00e8re soudaine, en raison de troubles politiques, d’effets secondaires comme l’alt\u00e9ration de la mousson indienne ou d’avarie m\u00e9canique se traduirait par un bond soudain des temp\u00e9ratures mondiales. C’est peut-\u00eatre l’aspect le plus dangereux de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie: elle porte en elle le\u00a0potentiel de rendre les choses bien pires qu’elles ne le sont d\u00e9j\u00e0.\u00a0L’objectif ultime de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est d’emp\u00eacher toute perturbation anthropique dangereuse du syst\u00e8me climatique (Art. 2). Les critiques \u00e9voqu\u00e9es pr\u00e9c\u00e9demment montrent que les dispositifs de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie entrent manifestement en contradiction avec l’objectif que la soci\u00e9t\u00e9 internationale s’est fix\u00e9e en mati\u00e8re de lutte contre le changement climatique.<\/p>\n
Une proposition illusoire et arrogante<\/h2>\n
Il existe un probl\u00e8me suppl\u00e9mentaire. La g\u00e9o-ing\u00e9nierie se concentre sur les effets du r\u00e9chauffement global, en renon\u00e7ant \u00e0 toute action sur sa cause. Au lieu de s’efforcer de r\u00e9duire les \u00e9missions mondiales de gaz \u00e0 effet de serre, elle cherche simplement \u00e0 en diminuer la concentration dans l’atmosph\u00e8re ou \u00e0 refroidir le sol et la basse atmosph\u00e8re.\u00a0Au lieu de s’attaquer au c\u0153ur du probl\u00e8me et de r\u00e9former le syst\u00e8me \u00e9nerg\u00e9tique global, la g\u00e9o-ing\u00e9nierie ne fait que diff\u00e9rer l’action, tout en donnant l’illusion dangereuse qu’elle r\u00e9pond au changement climatique. Elle maintient le statu quo tout en donnant aux politiciens et citoyens des principaux pays \u00e9metteurs une conscience tranquille. C’est pour cela qu’elle est autant s\u00e9duisante. C’est aussi pour cela qu’il faut y r\u00e9sister.<\/p>\n
En apparence, la g\u00e9o-ing\u00e9nierie n’est que la d\u00e9monstration de l’ing\u00e9niosit\u00e9 technique humaine; pourtant, elle repr\u00e9sente une transformation profonde de la relation de l’\u00eatre humain \u00e0 la Terre. Elle parie sur une solution technologique fond\u00e9e sur l’id\u00e9e selon laquelle la nature doit \u00eatre soumise \u00e0 la volont\u00e9 humaine. La s\u00e9duction qu’exerce l’ing\u00e9nierie du climat a des racines profondes, elle s’inscrit dans la droite ligne du projet de domination de la nature par des moyens techniques. Elle repr\u00e9sente le stade ultime de la d\u00e9mesure et de l’orgueil. Elle proc\u00e8de de la m\u00eame attitude arrogante qui se trouve \u00e0 l’origine du probl\u00e8me climatique: au lieu de changer notre rapport au monde, nous continuons \u00e0 exploiter la nature et \u00e0 chercher \u00e0 la dominer comme si nous en \u00e9tions les ma\u00eetres.<\/p>\n
La g\u00e9o-ing\u00e9nierie: un leurre plut\u00f4t qu’une solution<\/h2>\n
Ces diff\u00e9rentes r\u00e9flexions critiques convergent toutes vers le m\u00eame r\u00e9sultat: la solution de la g\u00e9o-ing\u00e9nierie est un leurre. Elle d\u00e9guise des dispositifs technologiques avec des effets potentiellement dangereux et injustes en une solution au changement climatique. Ceux qui sont pr\u00eats \u00e0 s’engager dans cette entreprise ne montrent pas leur d\u00e9termination \u00e0 lutter contre le probl\u00e8me climatique; ils montrent au contraire jusqu’o\u00f9 ils sont pr\u00eats \u00e0 aller pour \u00e9viter de s’y confronter directement.<\/p>\n
Michel Bourban\u00a0-huffPost<\/span><\/em><\/span><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"La g\u00e9o-ing\u00e9nierie fait l’objet de discussions toujours plus importantes dans les cercles scientifiques, \u00e9conomiques et politiques. Le dernier rapport d’\u00e9valuation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’\u00e9volution du climat (GIEC) en traite \u00e0 plusieurs reprises. Elle est discut\u00e9e dans un nombre croissant de rapports officiels et elle sera sans doute abord\u00e9e dans le cadre de la […]<\/p>\n","protected":false},"author":30,"featured_media":40671,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":[],"categories":[469],"tags":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/40665"}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/users\/30"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=40665"}],"version-history":[{"count":0,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/40665\/revisions"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/media\/40671"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=40665"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=40665"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.massarate.ma\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=40665"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}
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